Celle qui raconte...



caravane

La chaleur était écrasante, au moins 115° Fahrenheit.

 

Le lieutenant colonel Doug Casey, s’épongea le front du revers de la manche de son uniforme en soupirant. Il aurait bien fait une halte, il savait que ses hommes en avaient besoin, les bêtes aussi, mais cela était impossible. Il ne pouvait pas se permettre de figer la caravane dans un endroit aussi critique. Encore une heure et ils atteindraient le fleuve Colorado. Ils y établiraient leur bivouac. 

Il donna un léger coup d’éperon sur les flancs de sa monture, et l’accélération de son cheval le propulsa auprès des premiers chariots du convoi.

 

Tout va bien soldat ? demanda t-il à un jeune gringalet dont les épis carotte s’échappaient du képi bleu marine.

 

Le gamin grimaça un sourire et répondit :


Oui mon lieutenant, mais je vous avoue que je serai soulagé quand nous aurons quitté ce coupe-gorge.

 

Casey plaça sa main  en écran au-dessus de ses yeux et jeta un regard inquiet vers le haut des montagnes rouges du canyon. Ils étaient en plein territoire apache, plus précisément celui des Chiricahuas, tribu réputée pour ses attaques surprises. Il avait bien tenté de dissuader le général de leur faire traverser ce lieu encaissé entre les roches immenses d’Arizona mais rien n’y avait fait. L’ordre était formel :

 

Ramenez  ce convoi au plus vite à Rockspring. Votre cargaison est précieuse…

 

Le lieutenant laissa les premiers chariots le dépasser pour se mettre au niveau des trois véhicules centraux, qui transportaient le fameux trésor.

(Tu parles d'un trésor) se dit-il.Je n'en voudrais pour rien au monde.

Tout semblait calme. Il adressa un signe de tête aux conducteurs. Ils les avaient recrutés pour l’occasion parmi les meilleurs cowboys du coin, connus pour leur résistance, leur expérience et il faut bien le reconnaître, leur cupidité…car il fallait beaucoup aimer l’argent pour accepter une telle mission, au péril de sa vie.

A travers la toile de la carriole, une ombre se dessinait…

 

********

 

  plume d'aiglePlume d’aigle, oreille au sol, entendit les trépidations qui annonçaient l’arrivée du convoi.

Deux lunes qu’il connaissait l’existence  de la caravane, son contenu et le trajet qu’elle emprunterait.

Dans deux heures elle serait là…et dans deux heures, la marchandise deviendrait la propriété des Apaches.

 

Géronimo serait fier de lui…

 

Quand la première carriole s’engagea dans l’enfilade des montagnes rouges, il fit signe à ses guerriers de se préparer. Les Chiricahuas se penchèrent sur le cou de leurs Appaloosas, pour ne faire qu’un avec eux. Dès qu’ils recevraient l’ordre de leur chef, la centaine d’indiens, tapie en haut des crêtes se relèverait comme un seul homme, libérant la force retenue des puissants animaux, qui dévaleraient les flancs escarpés des rocheuses vers leurs proies.

 

Et l’ordre vint sous la forme d’une main pointée brutalement vers la cible…

 attaque

Le ciel devint rouge de poussière, l’air s’emplit du hurlement aigu des sauvages, du hennissement des chevaux, et des premiers sifflements des flèches. Les cowboys et les soldats n’eurent ni le temps d’ouvrir la bouche, encore moins celui de sortir leur Winchester…

 

Plume d’aigle resté en haut de la montagne, sortit son iphone dissimulé sous son pagne (Zut il n’avait presque plus de batterie)…et envoya un texto à son père :

 

Hugh ! mon père, les esprits étaient avec nous. les soldats sont à terre, et je te rapporte ton trophée.

Il imagina les lèvres minces de Geronimo esquisser un sourire.

 

 

 

*********

 

 - Lâchez-moi bandes de connards !  Non je n’irai pas avec vous, sauvages puants ! Ne me touche pas sale vermine, ou je t’en colle une pour t’apprendre les bonnes manières !


La femme blanche est non seulement laide, mais elle ne connaît pas les bonnes manières non plus,  siffla Plume d’aigle d’un air méprisant.

 

L’indien avait raison sur les deux points. La femme qui venait d’être extraite sans ménagement du seul chariot resté intact, était d’une laideur repoussante à ses yeux. Engoncée dans une robe moulante rose dont seule une « visage pâle » pouvait s'affubler, elle arborait des bourrelets qui la faisait ressembler à un cochon arrivé à maturité pour être égorgé. Son visage rouge de colère était loin d’être attirant : cheveux blonds attachés sur le sommet du crâne, yeux couleurs d’un ciel délavé par la pluie, bouche couleur du sang.


Il se demanda pourquoi son père voulait absolument qu’il la ramène saine et sauve au campement.  Lui, il l’aurait bien trucidée, cette femelle, juste pour qu’elle ravale ses paroles insultantes…


Il se contenta se lui coller un morceau de peau de bison dans la bouche, l’attrapa à bras le corps et la jucha brutalement à plat ventre sur le dos de son cheval. D’un saut leste, il grimpa juste derrière elle.

 

- Yeaahh !!!!! En avant valeureux guerriers ! Géronimo attend, hurla t-il en claquant violemment le gros postérieur de la femme blanche….

 

 

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géronimo

 

Le chef indien leva le nez de sa tablette dernier cri. Il l’avait troquée contre une centaine d’attrapeurs de rêves qu’un colon avait décidé de commercialiser dans son pays pour attraper les touristes. Depuis, il ne pouvait plus s’en séparer et passait la majeure partie de son temps à surfer sur les sites web. C’est ainsi qu’il avait découvert « iPagination »un site où des gens écrivaient leur vie et la vie des autres.

 

La femme blanche était une des leurs.

 

Ton nom ne m’intéresse pas. A partir de maintenant, et pour le temps que tu passeras ici, tu te nommeras « Celle Qui Raconte » , déclara Géronimo


- Mais… 


- Tais-toi femme, et écoute ! Tu dois la vie sauve à ton seul talent de conteuse. Je veux que tu écrives l’histoire de la tribu des chiricahuas et que la publie sur ton site. C’est à ce seul prix que tu vivras.

 

 Miss Alicia Thunderbeat, rebaptisée en un instant « Celle Qui Raconte », comprit qu’elle n’avait pas le choix si elle ne voulait pas mourir. Elle se dit aussi qu’elle allait faire le buzz sur internet, et qu’avec un peu de chance elle pourrait être publiée sur son site d’écriture.


Cela passait par une remise en cause totale de « sa grande gueule ». Elle allait devoir écouter cet homme à plumes, à la peau burinée par le passé et l’histoire.


Elle l’écouta pendant des lunes, raconter la vie de son peuple. Elle écrivit, transcrivit, enregistra, recopia, rédigea. Elle découvrit l’oppression d’une civilisation, la simplicité et la fierté d’appartenance, l’honneur …elle ressenti la honte et comprit ce peuple qui se battait pour subsister.

Elle dormait sous la tente de Géronimo, il ne la lâchait pas d’une semelle, sous l’œil jaloux et prédateur de Plume d’aigle qui se croyait supplanté dans l’affection de son père.


L’écriture dura deux mois.

 

Un matin, elle dit simplement :


- Voilà Géronimo, j’ai fini, vous voulez que je vous lise ce que j’ai écrit ?


 - Ce n’est pas la peine, "Celle Qui Raconte "  j’ai confiance car tu as compris qui nous sommes et je sais que tu sauras parler de mon peuple. L’extérieur n’est rien, toi tu es belle de l’intérieur, lâcha t-il en plantant son regard noir dans les yeux de la jeune femme.


Je vous promets que je ferai honneur à votre histoire. Je ferai un enregistrement  également que je vous ferai parvenir par internet. Vous pourrez le lire sur votre tablette, promit Alicia.

 

Le matin suivant, Géronimo vint lui faire ses adieux avec toute la retenue qui le caractérisait. Il lui tendit une plume de sa parure.

 

- Prends-la en souvenir de mon peuple et garde-la toute ta vie. Quand tu douteras, caresse ton visage avec cette plume et tu sauras quoi faire…

 

Alicia/Celle qui raconte  faillit ne pas partir, mais elle n’osa demander à Géronimo de rester avec la tribu. Elle avait une mission à honorer. 

Plume d’aigle l’emmena à la frontière de l’Arizona en passant par les crêtes des hautes montagnes, puis la laissa à proximité de Rockspring.

 

Descend " Celle Qui Raconte ", va et fais honneur aux Chiricahuas...et puis ajouta t-il, change ta couleur de cheveux, elle est vraiment trop laide...

 

En voyant la poussière ocre soulevée par les sabots du cheval obscurcir l'horizon, elle se sentie orpheline pour la première fois de sa vie….

 

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« COUPEZ !!!!! » ça y est on la tient les enfants, c’est dans la boite ! Angelina tu as été formidable une fois de plus. Il n’y a plus qu’à visionner les rushes, et on attaque le montage dès demain, cria Oliver Stone dans son hygiaphone.

 

- Ouf, je n’en pouvais plus de cette chaleur ! soupira Angelina en ôtant sa perruque et en se dirigeant vers sa caravane. Je file me démaquiller et prendre une douche. Braaad !!! tu peux passer prendre les kids à l’école ? 

 

- Tes désirs sont des ordres "C.Q.R.", dit Brad en faisant un clin d'oeil à la démaquilleuse.

 

Angélina caressa son visage avec une plume d'aigle blanche et noire....

clapTHE END