En  2167 à PaRiS...



EN 2167 A PARIS

 fumée

 

« Mayday, Mayday Olivia ! J’ai besoin de ta voix. Cà urge… »

 

Cling cling ! – message envoyé –

 

Je me presse un peu plus dans le coin du refuge que j’ai investi en catastrophe, un peu plus tôt dans la matinée, en même temps qu’un homme d’une quarantaine d’année. J’étais juste à côté, dans la rue qui borde l’entrée de l’hôpital Sainte Anne, quand l’énorme nuage de fumée a déboulé au dessus de nos têtes. Je n’ai eu que le temps de placer mon mouchoir sur ma bouche et mon nez et je me suis précipitée dans le premier bâtiment à droite dans la cour.

 

C’est la deuxième fois ce mois-ci que le phénomène se produit, et il y a quinze jours, une trentaine de personnes qui avaient respiré les gaz toxiques, ne s’en sont pas réchappées. Il faut dire que depuis que les voitures roulent avec un mélange d’alcool et de charbon, la pollution est à son comble dans la capitale.

De temps en temps, un véhicule dont le réservoir est arrivé à saturation, explose sous l’effet de la canicule environnante. L’incendie se propage aux autres voitures qui libèrent à leur tour des vapeurs toxiques qui se répandent aux alentours à la vitesse du vent. Environ dix morts par mois depuis 6 mois et trente la semaine dernière.

 incendie

Nous sommes en l’an 2167. Il y a bien longtemps que les métros ne roulent plus faute d'énergie suffisante. Les nantis ont encore des voitures et se procurent un ersatz de carburant ô combien dangereux, les autres, comme moi se déplacent à pied.

 

Je suis Mezzo Soprano à l’opéra de Paris, et malgré  mon jeune âge, je suis pressentie pour devenir une grande cantatrice. Toutes mes journées se ressemblent et commencent, à peine levée, par une décoction à base de miel et de jus de citron. Je me dirige ensuite pour mon cours de chant, chez Mme Le Floch qui habite près de Sainte-Anne, l’hôpital psychiatrique.

C’est la raison pour laquelle j’étais dans la rue de la Santé jouxtant l’hôpital ce matin, quand l’accident s’est produit.

 

Je jette un œil inquiet à mon téléphone, espérant un message d’Olivia.

« Allez réponds Olivia, pour une fois que j’ai besoin de toi »

carmen

 

 Olivia c’est ma doublure à l’opéra. Jusqu’à présent, je n’ai jamais eu besoin de  ses services, mais aujourd’hui, je comprends que la petite Olivia va sortir de l’ombre. Il y a un spectacle ce soir.

 

 

 

Depuis une heure, la respiration est devenue difficile même à l’intérieur de cette pièce qui ne comporte qu’une minuscule fenêtre. Au début j’ai jeté un regard à l’extérieur, c’est comme çà que j’ai aperçu les dizaines de corps allongés dans la rue. J’ai compris que cette fois-ci, c’était plus grave que d’habitude.

 « Les pompiers ne vont pas tarder à arriver » me dis-je pour me rassurer, mais je ne peux pas m’empêcher d’être inquiète. C’est différent cette fois-ci …

 

Et puis il y a l’autre, celui qui est avec moi dans cette pièce depuis ce matin. Il est franchement bizarre. Depuis que nous sommes entrés, il ne s’est pas assis une seule minute. Il bouge en permanence en s’obstinant à ne pas marcher sur les joints du carrelage blanc cassé. Il pose son pied bien consciencieusement en plein milieu des carreaux, et de temps en temps il tourne la tête vers moi, en me jetant un regard de travers.

 Je lui propose doucement :

« Vous ne voulez pas vous asseoir monsieur ? Vous allez vous essouffler » en espérant qu’il va m écouter.

 Il ne répond pas et baisse la tête en s’appliquant à viser le centre du carreau blanc.

 toc

 

L’atmosphère devient de plus en plus irrespirable. Il va être urgent de tenter quelque chose. Il y a bien cette bouteille de gaz accrochée au mur.

L’étiquette est bleue et elle n’est pas marquée H20 comme d’habitude, mais N20…c’est curieux.

L’homme s’est mis à tousser et regarde maintenant lui aussi avec insistance,  la bouteille de gaz, qui par sa présence, suggère qu’elle est accrochée là en tant que secours potentiel.

Il fait un pas mesuré dans sa direction et tend le bras pour l’attraper :

« Non, non ne faites pas çà, c’est peut-être dangereux » 

Sans émettre le moindre son,  il saute le dernier carreau et saisit la bouteille entre ses mains.

« Arrêtez monsieur, les secours vont arriver, je vous en prie »

 

C’est le regard qu’il me lance à ce moment qui me fait réaliser que cet homme est fou…qu’il est tout simplement interné à l’hôpital psychiatrique et qu’il était en promenade quand l’explosion s’est produite.

«  Mon Dieu, Julia, non seulement tu es en train de t’asphyxier, mais en plus tu es enfermée avec un fou »

J’halète et je sens la frayeur priver mes poumons de leur va-et-vient vital. « Ausecours ! » Ma tête s’affole.

 

proto

 

Pshhhttt !!!! Il a suffit que l’homme tourne la mollette de la bouteille, pour que celle-ci lui échappe des mains et tombe par terre. La sortie du gaz sous pression fait tournoyer l’obus qui délivre avec force son produit en émettant un son effroyable dans la pièce.

 

L’homme pousse un cri aigu et lancinant en se bouchant les oreilles. J’ai groupé les genoux contre ma poitrine en enfouissant la tête dans mes bras. J’ai peur…ça va sûrement exploser…je vais mourir

 Et puis plus rien. Un dernier Pshhtt ! laborieux annonce la fin de la libération du contenu de  la bouteille. Je relève la tête, étonnée du silence. L’homme s’est tu lui aussi et frotte ses mains contre son pantalon, pour essuyer le dépôt laissé par le gaz.

 Ça ne sent rien. Je n’ai pas l’impression de respirer mieux, mais une impression de légèreté m’envahit…un léger trouble aussi qui brouille un peu ma tête…j’entends au loin une voix de ténor. On dirait…

(Zut je ne me souviens plus…pourtant je ne connais que lui… )

 

Quelque peu embarrassée, je tourne la tête vers mon compagnon d’infortune que, ma foi,  je commence à trouver fort sympathique depuis quelques minutes.

 La mine réjouie, il est en train d’effectuer des glissades sur toute la surface du carrelage. Il prend son élan les bras écartés, et franchit comme de rien, les frontières entre les carreaux du sol.

 J’éclate de rire en lui tendant la main.

 - Venez, je vous emmène à l’opéra cher ami, au fait quel est votre nom ? »

 Mon prénom est Domingo, mais appelez-moi Placido me répond-il en me donnant sa main.

 

Je jette au passage un dernier regard à l’étiquette bleue de la bouteille de gaz. N20..N20 ? Ah oui ça y est ! je me souviens !  N20 c’est du protoxyde d’azote, du gaz hilarant…

Moi c'est Julia.

 

 Et je me mets à entonner à tue-tête :

« L’amour est un oiseau rebelle »

 

Au loin, le bruit de la sirène des pompiers se rapproche. On dirait le chœur des enfants de Carmen… Magnifique !

 

Cling cling ! – sûrement Olivia …je m’en fous…Pas question d’interrompre mon solo devant Placido…

 

carmen