la pRIèRE DE nInA


cf / Recueil de textes/CD sur le thème cancer, en recherche d'éditeur.

 

Un enfant à terre

Devant une mère de pierre

Un cœur en désordre…

 

 


Sainte Vierge, il fait froid dans votre église, presqu’aussi froid que dans mon cœur.

J’ai douze ans. Je m’appelle Angelina, mais maman m’appelle toujours Nina. J’ai douze ans depuis hier et je ne suis jamais entrée dans une église. Je ne sais pas comment il faut prier pour que çà marche, alors si vous voulez bien, je vais rester debout pour que vous puissiez bien voir mon visage.                                                                                                                                                                         


Il n’y a personne d’autre ici, vous devez vous sentir bien seule. C’est mieux ainsi, vous pouvez comprendre ce qu’est la solitude. Si c’est dur pour vous, imaginez ce que cela serait pour moi.


Il y a une heure, ma mère m’a appris qu’elle était malade, tellement malade qu’on ne peut plus rien faire pour la sauver et qu’elle va bientôt mourir. J’ai cru que j’allais m’évanouir quand elle a dit çà. J’ai senti comme un grand vide dans ma tête qui est descendu tout doucement des cheveux vers le bas de mon corps, comme un grand bocal qui se vide. Sur le coup je n’ai pas voulu la croire, puis j’ai levé la tête, et j’ai vu dans ses yeux qu’elle disait la vérité.


C’est pour çà qu’elle partait chaque semaine, soi-disant pour travailler deux jours d’affilée. Elle disait que son travail la fatiguait en ce moment, et qu’il lui dessinait des cernes sous les yeux. Elle disait aussi en riant, qu’elle faisait sa fainéante et qu’elle avait besoin de dormir l’après-midi comme les petits enfants.


Et moi je n’ai rien vu. Quelle petite égoïste je suis, pour n‘avoir rien compris ? Depuis trois semaines, elle avait changé, elle voulait m’emmener au cinéma tout le temps, à la crêperie, faire les magasins, j’aurais dû me poser des questions, me douter de quelque chose. Rien… Mercredi dernier, elle m’a acheté plein de choses, même un collier, en me disant que comme çà je penserai à elle quand je le porterai. Je n’ai rien imaginé, je n’ai rien vu venir…


Madame la Sainte Vierge, on dit que vous êtes bonne, que vous comprenez le malheur des gens et que vous pouvez faire des miracles. Quand je vous vois si belle, avec les rayons du soleil qui éclairent ce vitrail derrière vous, les bras écartés comme pour y accueillir tous les malheureux de la terre, je me dis que vous allez forcément faire quelque chose pour maman et pour moi.


On ne peut pas nous séparer. Elle est trop jeune, elle est trop jolie, et moi je suis encore trop petite. J’ai besoin de ma maman, je suis sûre que vous comprenez. !  Vous n’avez pas le droit de la laisser partir !  Vous savez, on a encore plein de choses à faire ensemble et à se raconter. Il faut qu’elle m’apprenne ma future vie, qu’elle m’aide à faire les bons choix. Je vais me tromper sans elle, c’est sûr !  C’est elle qui veille sur moi, qui m’aide pour mes devoirs. C’est avec elle que je pique mes plus beaux fous-rires. On est comme des folles quand elle me rejoint dans ma chambre. Je lui raconte ma journée, mes petits tracas et elle, elle trouve toujours une histoire drôle à me raconter pour me changer les idées. Elle est extra, ma mère, c’est ma meilleure copine.


Au fait, vous vous rappelez bien que je n’ai plus de papa, n’est-ce-pas ? Je ne l’ai jamais connu, c’est pour çà que maman est la personne la plus importante de ma vie.


Allez ! Faites-moi un signe au moins, au lieu de rester là les bras en croix ! Faîtes un clin d’œil, bougez un doigt quoi ! Dîtes-moi que vous allez faire quelque chose pour nous, au lieu de rester là immobile ! Vous vous en fichez de nous ou quoi ? Ça vous est égal que ma mère soit en train de mourir ? Vous voulez me punir parce que je ne suis jamais allée à la messe ? Si c’est pour ça, je vous promets que je vais me rattraper et que vous n’aurez plus à vous plaindre de moi. Je suis capable de tout pour la garder, il faut me croire…


Vous voyez, je suis à genoux maintenant. J’ai joint mes mains et j’ai croisé mes doigts comme j’ai vu faire dans les films. Il faut aussi baisser la tête je crois. Quels sont les mots magiques déjà ? Sainte mère de Dieu, priez pour nous.

Oui ! Priez pour maman, empêchez- là de mourir ! 

 Je vous préviens, si vous ne faites rien, je ne viendrai plus jamais vous voir, je dirai à tout le monde que c’est du pipeau, que vous n’existez pas, que cette belle statue à la figure si douce et si gentille, c’est juste pour faire entrer les gens dans votre église glacée !


Oh pardon, pardon, Madame Marie, je ne voulais pas dire çà ! J’ai la tête sur les genoux maintenant. Mes mains sont trempées de larmes et mes doigts sont tout blancs à force de les serrer. Oubliez ce que je viens de dire .je ferai tout ce que vous voudrez, tout. J’irai  vous voir tous les dimanches, je chanterai dans la chorale, j’irai au catéchisme, il n’est peut-être pas trop tard pour apprendre ?


S’il vous plaît, si vous, vous ne pouvez rien faire, dîtes à votre fils d’en parler à son père. Il paraît qu’il est assis à côté de lui. S’il vous plait, madame la Sainte Vierge, dîtes-lui qu’il peut bien faire cela pour elle, et qu’il lui doit bien çà. Rappelez-lui bien qu’elle est infirmière à l’hôpital, et qu’elle a sauvé plusieurs personnes déjà.                   

On a besoin d’elle sur terre ! Votre Dieu, il peut bien faire semblant qu’elle n’existe pas et nous laisser tranquilles !

 

Et puis il l’a déjà oublié une fois, quand il appelé papa au ciel. Alors il a déjà fait une bourde, si vous voyez ce que je veux dire …

 

Vierge Marie, vous êtes une maman vous aussi. Votre enfant, vous l’avez serré dans vos bras, vous l’avez aimé et un jour on vous l’a enlevé. Vous connaissez la souffrance d’une mère. Moi je ne veux pas connaitre celle d’un enfant, je ne mérite pas çà, je n’ai jamais fait d’énormes bêtises. La plus grosse, c’est quand j’ai enfermé le chat de la voisine dans le placard parce qu’il venait de me griffer. Si c’est à cause de çà, je le regrette vraiment, mais çà ne mérite pas cette punition…Enfin je ne crois pas.


Empêchez –là de s’en aller ! Elle ne peut pas me faire çà ! Et vous, Vous n’avez pas le droit d’enlever une maman à son enfant

Je reviendrai vous voir demain, Sainte Vierge, et encore après-demain, et tous les jours qui vont suivre…             

 

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Elle est morte ce matin, vous n’avez rien fait.

Je vous déteste à jamais...