Quentin Le CaNarI


Caroline a laissé la porte de ma volière ouverte. Elle fait pourtant très attention d’ordinaire. Elle approche doucement sa main, en chantonnant toujours les mêmes mots :

« Quentin, Quentinoux, Quentinelle, voici de l’eau fraiche et des graines dorées »

Aujourd’hui elle a chanté d’autres mots, cela parlait de soleil et de liberté…Forcément cela m’a interpelé…et elle a laissé la porte ouverte.

 

cageJ’ai dégusté les graines, me suis gargarisé avec les perles d’eau fraiche, j’ai fait trois tours de balançoire comme d’habitude, et j’ai sautillé à pieds joints vers l’endroit où il n’y avait pas de barreaux. J’ai aperçu le soleil, jaune citron, sans rayures verticales, et j’ai voulu ressentir sa chaleur de plus près.

 

« Cui, cui ! je suis Quentin le canari, attends-moi Soleil, j’arrive !

 

La fenêtre ouverte également, m’invitait à la franchir. Pouic pouic, je ne savais que sautiller…Qu’importe !

 

Il y avait une grande vasque sur la table de fer forgé sur la terrasse. Il avait beaucoup plu depuis deux jours, et elle avait récolté le chagrin des nuages (cumulus car sinon nuages fait..nudisme ndlr)). Qui avait bien pu les contrarier à ce point pour produire autant de larmes ? Je me souviens m’être demandé si les larmes des nuages (cumulus) étaient salées.

Mon dernier compagnon me disait tout le temps « Quentin, tu es un curieux canari » ce à quoi je répondais en pépiant : « Cui, cui, tu te trompes, je suis un canari curieux, ce n’est pas pareil »

 

J’ai pris mon élan, un… deux… trois… et hop ! Je me suis retrouvé pattes par dessus plumes sur le bord de la vasque transparente.

Le temps de mettre de l’ordre dans ma houppette, de regarder à droite et à gauche si personne ne m’avait vu, et j’ai décidé de faire un tour d’honneur, trois cent soixante degrés sur la pointe des griffes, le tout sans faux pas…enfin presque…

 

J’étais pratiquement arrivé à la fin de mon premier tour d’échauffement quand Nestor, le « chat d’amour » de Caroline a fait une entrée remarquable dans le paysage. Nestor c’est ma bête noire, même s’il est tricolore. Quand il frôle ma cage, il se pourlèche les babines, avec l’air d’un gourmet devant la carte d’un restaurant trois étoiles…

 titi et grosminet

 

Mon sang n’a fait qu’un tour de canari, et je me suis dit « Quentin, toi qui veux savoir si l’eau des nuages est salée, c’est le moment mon cuicui ! »

Je ne sais pas ce qui m’a pris, la peur de mourir croqué sans doute, mais j’ai effectué un superbe saut de l’ange, bec en tête, pattes serrées, griffes tendues à l’extrême. Si j’avais été juge dans un concours de plongeon, je me serais mis dix sur dix, pas moins…

 

Plouf ! Ma tête a heurté le fond de la vasque, j’ai ouvert le bec et là j’ai découvert dépité, que l’eau était fade, ni plus ni moins le même goût que dans mon abreuvoir, quelle déception !

 

Ma deuxième déception, et pas des moindres, fut de me sentir tellement lourd que je n’arrivais pas à remonter à la surface ; j’ai bien essayé de déployer mes petites ailes, mais elles étaient paralysées par le poids de l’eau. Taper au fond de la vasque de verre ? Mes cuisses étaient trop fines pour m’aider à me propulser…

 

« Je ne vais quand même pas me noyer ? Et moi qui rêve de rencontrer des amis dehors et de couler des jours heureux aux îles canaries avec une jolie dame ».

 

chat étonnéC’est à ce moment que j’ai ouvert les yeux, et que j’ai aperçu comme à travers une loupe, la tête énorme de Nestor qui semblait me regarder d’un air à la fois dubitatif et interrogatif.

 


Il a compris que j’étais en train de me noyer, et que si je me noyais, il ne pourrait jamais plus rêver de me croquer un jour.

 

 

N’écoutant que ses rêves d’estomac comblé, il a plongé sa patte velue en forme de cuillère et m’a repêché avec une élégance et une efficacité dignes d’un ours brun attrapant un saumon. Je me suis senti projeté dans les airs, j’ai aperçu la boule jaune du soleil qui se rapprochait dangereusement de mes yeux presque clos.

 

Double saut périlleux, triple boucle piquée, mal au coeur assuré… j’ai atterri in extrémis mais en douceur sur le coussinet de sa patte.

 

« Alors mon poulet, on se croit aux jeux olympiques ? »

 

J’étais bien en peine de répondre quoi que ce soit …

 

Et sans attendre que je retrouve un semblant de vivacité, Nestor m’emporta sous sa patte blanche et rousse, me déposa avec délicatesse à l’intérieur de ma cage, et verrouilla la porte de l’extrémité de sa griffe.

 chat rire

«  A demain mon poussin » me lança t-il d’un air goguenard en se frottant le ventre…