Vous poursuivez l'aventure avec nouS...


cf/ recueil de textes sur le thème du cancer, en recherche d'éditeur.


Pardon à ceux que la dérision choquera. C'est un mode de gestion différent qui n'enlève en rien la gravité du problème.

 

vous poursuivezJe me suis sauvée les pieds nus.


J'ai enfilé ma jupe et mon pull comme si j'avais le diable à mes trousses, et je me suis sauvée comme une voleuse, mon sac sous le bras et mes chaussures à la main, sans même payer.

Il a essayé de me rattraper. « Attendez ! Il faut que je vous explique ! ».

J'ai claqué la porte derrière moi, couru jusqu'à l'ascenseur, et en entendant sa voix qui se rapprochait, j'ai dévalé les escaliers quatre à quatre. Je me suis retrouvée dans la rue, offrant à coup sûr l'image d'une fille échappée de l'asile.

Je me souviens avoir pensé « N'importe quoi ! Il est complètement taré ce type ! »


Maintenant que j'ai repris une respiration à peu près régulière, j'éprouve le besoin urgent d'une pause. Le bar du coin de la rue fera parfaitement l'affaire. Je commande un café et file directement aux toilettes, prise d'une irrépressible envie de rejeter chaque mot entendu. Mais je n'ai rien à vomir, çà fait mal la gerbe sans rien dans l'estomac.


La glace me renvoie un visage au regard fixe sans maquillage, et sans sourire non plus, que j'asperge littéralement d'eau glacée, comme pour laver ma mémoire des conneries que cet homme vient de me débiter. Mais l'effet escompté n'et pas très probant et j'arrive juste à me déclencher une migraine. Pas de chance aujourd'hui, décidément...


Ce n'est pas la peine de rester plus longtemps, je serai aussi bien chez moi.


Une demi-heure plus tard, affalée dans le vieux canapé de mon petit studio du 9ème étage, je grignote du bout des dents mon sandwich préféré, jambon/emmenthal : « Il a même réussi à me couper l'appétit, ce con ! »


Des jeunes candidats à la télé, s'évertuent à réaliser la recette d'un chef de cuisine étoilé, jugés pour l'occasion par des cuisiniers réputés. A la fin de l'émission, me voilà dans la peau du parfait téléspectateur, bravant même, pour plus d'authenticité, plusieurs séries de pages de publicités fastidieuses, afin d'entendre « Untel, vous poursuivez l'aventure avec nous »  


 Emotion, projection, valorisation, addiction...


« Pfff ! Je n'arriverai jamais à dormir », je ronchonne. Des centaines de moutons escaladés plus tard, les somnifères complices ont fini par avoir raison de mon inconscient. Le pauvre ! Il a beau s'évertuer à gommer l'épisode de l'après-midi, c'est quand même arrivé.

 

Trois heures magnifiques dans le néant, trois heures dans la négation du vécu, trois heures d'oubli...et d'un seul coup une folle angoisse qui me propulse en position assise, les yeux grands comme des soucoupes, déversant un déluge incontrôlable.  « Non je ne veux pas, j'ai peur, arrêtez-de me dire çà, c'est faux ! » La boule qui a pris place dans mon ventre depuis hier après-midi, s'enfonce un peu plus encore dans mon estomac, et remonte jusqu'à ma gorge, ne laissant passer qu'un filet de plainte aigue « Pourquoi moi ? »

Je n'ai rien fait pour mériter ça. Je mène une vie plutôt cool et ordinaire. Toute la semaine à la Fac, à étudier les langues étrangères .Je suis une bosseuse, pas trop de temps à perdre à sortir avec des copains. J'ai le projet de devenir interprète, et pas dans dix ans. J'ai ce besoin urgent de concrétiser mes rêves rapidement. Je ne l'explique pas réellement.

Alors non ! Hors de question !  Je suis peut-être une fille tranquille, mais je ne vais pas me laisser impressionner par cet homme, sous prétexte qu'il a une blouse blanche. Çà ne lui donne pas la science infuse !


Qu'est-ce qu'il en sait d'abord que j'ai un cancer ? On n'a pas de cancer à vingt-six ans. A vingt-six ans on a des ovaires tous neufs, qui fabriquent un joli petit ovule tous les mois, qui n'attend que de rencontrer le spermatozoïde de son futur amoureux. Ce type m'a balancé ce scoop, d'un coup d'un seul, hier après-midi. J'allais simplement consulter parce que j'avais un petit point de côté à gauche, sûrement une petite contracture.


J'y suis allée pour çà, pour qu'il me donne un décontracturant, pas pour qui me fasse sa fichue échographie, et qu'il me dise que probablement j'ai un cancer de l'ovaire gauche. Inimaginable, le nombre de charlatans que l'on peut rencontrer ! Je vais aller en voir un autre, et puis je retournerai chez lui et je lui crierai devant tous les gens de la salle d'attente, qu'il a fait un mauvais diagnostic. Il sera bien obligé de reconnaître son erreur et de s'excuser.


C'est pour ça que je me suis sauvée les pieds nus, hier...

 

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J'ai un cancer, j'ai un cancer, j'ai un cancer, j'ai un cancer...


Puisqu'ils sont deux à le dire maintenant, je suis bien obligée de partir du fait que c'est sûrement vrai, mais çà ne va pas se passer comme pour les autres, toutes celles qui acceptent de se faire charcuter, de se faire injecter des poisons qui font perdre les cheveux, qui les mettent plus bas que terre et les transforment en zombies. On ne me regardera pas avec cet air de compassion qu'offrent les soi-disant biens portants.     

                                                                                                                                         

Je vais le tourner en dérision ce putain de cancer, et il va se barrer en courant.


J'ai un cancer                                                                                                                              

                                                      De mes ovaires                                                                                                                                

La belle affaire !


Tiens ! ça rime, et çà fait tout de suite plus joli et moins grave.

Je suis sûre que tout se passe dans la tête. Quand on ne veut pas quelque chose, il suffit de le vouloir très fort et çà n'arrive pas.


Alors ce matin, j'ai pris une grande décision sur laquelle je ne reviendrai pas, ce n'est pas la peine d'insister...

J'ai pris la décision de ne pas mourir, et de poursuivre moi aussi l'aventure...